Ouarzaz

Exposition Ourzaz, mai 2013

Frédéric Darmgard a été l’inventeur de plusieurs artistes que l’on a pu qualifier de représentants de l’art brut marocain. Parmi eux Saïd Ouarzaz est un des plus représentatifs.
Olivier Conil l’expose dans sa galerie à Tanger. Après deux voyages à Essaouira nous décidâmes de le programmer dans le cadre du Salon du livre et des arts 2013 qui fut consacré à un « Éloge de la lenteur ».

Invitation exposition, Salon du livre 2013
Invitation, verso.
Ouarzaz fumant

Le génie de Ouarzaz

En 1996, Frédéric Damgaard, ce grand découvreur des talents souïris, avait exposé Saïd Ouarzaz. Il parlait à son propos d’une « peinture fulgurante, gestuelle », dans « l’immédiateté ». Aujourd’hui, nous retrouvons cette force originelle. Ce peintre autodidacte a créé, à partir de représentations ancestrales, quasi animistes, un univers unique. Ouarzaz n’est pas dans le fil de l’histoire, il est en-deçà ou au-delà de l’histoire, tout comme ses pairs Tabal, Baki, Maimoun ou Ben Ali, mais avec quelque chose de bien à lui.Il n’est pas possible de parler d’art brut ou naïf.

Une école d’Essaouira ou des artistes singuliers ?
Ouarzaz est rattaché à un phénomène qui laisse perplexe nommé parfois l’école d’Essaouira. Selon Mickaël Faure, il n’y a pas d’école d’Essaouira mais « une communauté artistique d’Essaouira – celle des artistes qualifiés de « singuliers » : communauté informelle de créateurs étranges –insolites et fortement individués- et étrangers aux circuits habituels de l’art, comme à ses codes, arcanes et acteurs multiples ». Le même critique relève « quelques dénominateurs communs, par-delà une logique diversité des formes. Ainsi, par exemple, du point coloré, si caractéristique d’une manière picturale forte à Essaouira une manière de peindre le point plus conforme, bien sûr, à l’art africain (ou aborigène) , la couleur, aussi, si présente, variée, maîtresse et les formes, les rythmes et leurs motifs souvent répétés et audacieux : comme des entrelacs interrompus de courbes, de lignes ou de superpositions de figures qui se distordent ou s’enchevêtrent » . La peinture de Ouarzaz s’affirme bien dans ce mouvement avec ses figures animales et végétales inspirées par un univers paysan mais ne s’y réduit pas.

« L’art, c’est la terre ! »
Ouarzaz vient bien d’une terre au sud du Maroc et appartient à notre époque. Cependant il échappe à nos classifications. D’ailleurs, pour rejoindre la famille de Ouarzaz, il a fallu entrer dans l’arrière-pays d’Essaouira, là où les alizés ne parviennent pas. On a même quitté les arganiers pour rouler dans des paysages semi-arides. Les oueds sont à sec. La terre est ravinée. Au bout du chemin, sur ces confins berbères, nous sommes finalement allés à pied. La chaleur y était écrasante. Un âne est apparu. Il nous a montré le chemin, le balancement de sa queue(, ) rythmait un temps qui n’était plus le nôtre. Du coup est tombée de nos épaules la contrainte de nos agendas, de nos rendez-vous. Nous devions abandonner la ligne droite au profit d’un parcours sinueux et entrer dans un autre espace-temps. La maison de Ouarzaz est simple et âpre. Pour se protéger du climat, accueillir la famille, les amis et travailler. L’hospitalité y est infinie. Cette simplicité, la puissance des liens sociaux, la proximité d’avec la terre, l’absence d’éducation scolaire et artistique, en particulier, le rapprochent des aborigènes australiens auxquels on doit la formule « L’art, c’est la terre ! ».

Le temps du rêve
« À propos du peuple aborigène, Marcia Langton a dit que c’était un « peuple artiste ». « L’art pour eux est essentiel. Il fonde leur identité, leur relation à la terre : là est le secret de leur survie. Leur monde symbolique a toujours structuré leur société ». Le même auteur ajoute « La terre c’est les beaux-arts. Plus l’humanité en sera consciente, mieux elle maintiendra la société vivante en harmonie » . Ces œuvres relèvent du « temps du rêve ». « Un « rêve » en terre aborigène, c’est le nom générique des peintures, des sculptures. Car tout « rêve est régulièrement peint ou sculpté » .Les objets qui accompagnent certaines expositions d’œuvres aborigènes –boucliers, propulseurs, couteaux de pierre, coiffes et pendentifs en coquille de nacre- illustrent « le continuum entre passé, présent et futur, concept central à l’art et à la culture du désert de l’Ouest ainsi qu’au Tjukurrpa (le temps du rêve) ». Paysan-peintre, Ouarzaz peint aussi des rêves comme des transes et vit dans le temps de la terre. Seulement là où les aborigènes s’approprient un espace avec des code partagés par les initiés, - leurs peintures valent titres de propriété et sont reconnues en justice au nom d’une tradition pluriséculaire -, Ouarzaz affirme une œuvre personnelle.

Le daimôn (δαίμων) de Ouarzaz
Dans les tableaux de Ouarzaz, on distingue souvent des figures de démons, au sens d’un génie familier, mi-homme mi-animal, un esprit qui nous accompagne. Socrate avait son daimôn qui lui soufflait des réponses. Platon, dans Le Banquet, revient sur ces êtres intermédiaires entre les hommes et les dieux grâce auxquels la divination et la magie sont possibles. On voit certains de ces êtres danser chez Tabal. Le daimôn de Ouarzaz est plus grand, plus fort. Il peut envahir toute une toile et entraîner le spectateur avec lui. La force de l’œuvre de Ouarzaz tient à ce génie tellurique. C’est lui qui nous conduit vers un monde que l’on dirait proche de celui de Jackson Pollock. Quand Pollock part de l’art occidental pour rejoindre la cosmogonie des Amérindiens, Ouarzaz part de sa terre pour rejoindre une abstraction qui joue du dripping et de techniques renouvelées (dilutions, taches et superpositions). Dans sa cosmogonie, il y a de la place pour les génies et une certaine modernité. Les traces d’une tradition s’estompent et se noient dans un tourbillon vertigineux de couleurs mais l’énergie initiale ne se défait pas. Ce génie dionysiaque est parfois figuré mais toujours présent.
C’est le génie de Ouarzaz qui mène la danse.

Alexandre Pajon
Introduction du catalogue.

Catalogue de l’exposition Ouarzaz

Vidéo sur l’exposition Ouarzaz à Tanger (2013)

Compte-rendu de l’exposition dans la presse.

Portrait de Ouarzaz, Vidéo de l’Institut du Monde Arabe, Paris, 2014.


The Essaouira school has gained international fame in the field of Art Brut. Saïd Ouarzaz is one famous artist representing that school. Born in 1965, he was first a farmer, following the family tradition, then a mason. His world close to Pollock’s one is inhabited and dreamlike.
Selected among the talented artists representing Morocco at the 2014 major international exhibition at the Institut du monde arabe in Paris, "Le Maroc Contemporain", Said Ouarzaz is a genius illiterate. His works tell stories without words. Stories populated by animals, men and imaginary creatures.

Saïd Ouarzaz et Olivier Conil
Ouarzaz devant son atelier
Jean-Hubert Martin, commissaire de l’exposition sur l’art contemporain au Maroc, et Saïd Ouarzaz