Zine el Abidine el Amine
Zine el Abidine el Amine (2012),
Passé par l’École des arts plastiques de Casablanca et la Cité des Arts à Paris, Zine el Abidine el Amine est venu présenter à la Galerie Delacroix un état de sa production.
- Portrait de Zine el Abidine el Amine
- Dans l’œuvre de l’artiste, le temps est suspendu, le feu a fait œuvre. « Mais il y a arrêt ; cela suppose donc, un avant et un après ; un devenir qui m’intrigue et me pousse à deviner, à supposer, à imaginer... Je deviens ainsi le spectateur d’une présence mystérieuse, silencieuse... », avoue-t-il.
Voir l’article sur l’exposition dans le quotidien national, Libération.- Technique mixte sur toile 140x100 -1-
Introduction du catalogue par A. Pajon
Histoire et non-figuration, le parti-pris de Zine Abidine El Amine
En 1945, au moment de l’ouverture des portes des camps de concentration et d’extermination nazis, des photographes, des cinéastes saisirent l’horreur de l’amoncellement de corps meurtris et captèrent le regard vide de survivants efflanqués. On pouvait alors retrouver dans ces images ce que les danses macabres du XVème siècle, Les Grandes misères de la guerre de Jacques Calot ou les Horreurs de la Guerre de Francisco Goya avait déjà illustré. Mais il ne pouvait pas être question d’émotion esthétique. On se posa alors la question de ce pouvait-être la peinture ou toute autre forme d’art après la démonstration de la puissance de la barbarie ? Il fallut près de trente ans à Zoran Mušič pour exprimer cette expérience sur la toile et retrouver ce qu’il avait dessiné dans les camps. Pendant ces années il peignit des paysages dalmates, des petits chevaux sur des collines verdoyantes.
La peinture figurative lui permettait d’échapper à l’histoire. C’est en s’engageant vers la non figuration qu’il revint à son expérience de Dachau, au témoignage. Dans la série "Nous ne sommes pas les derniers" nous retrouvons des tas de cadavres accumulés comme autant de bouts de bois secs et des silhouettes d’hommes réduits à des ombres. De manière notable plusieurs peintres d’Europe centrale qui ont vécu plus ou moins directement la dictature nazie, les camps et la guerre ont travaillé ces images en ayant recours à une matière épaisse, proche de la lave : Miklos Bokor, Rütjer Rühle et Anselme Kieffer. Comme Zoran Mušič, ils ont poursuivi, avec les moyens picturaux de ce siècle, une réflexion sur le tragique et la barbarie.
Aussi la surprise est-elle grande de trouver, en 2012, dans les oeuvres de Zine El Abidine El Amine cette même capacité non pas à raconter des histoires mais à rendre compte du drame de l’homme. Les textes de Primo Lévi ou Paul Celan, les gravures de Grosz ou de Dix sont à l’arrière-plan du travail du jeune créateur marocain.
Zine El Abidine El Amine esquisse des silhouettes mais surtout il joue avec le feu, laissant apparaître sa trace sur la toile ou le carton. La cendre et le goudron sont des résidus de combustion que rehausse un halo de lumière crue. Il travaille ces matières pour reconstituer une sorte de cosmographie où se mêlent les aubes du monde, les éruptions volcaniques et les crémations. Nous avons là une démonstration exceptionnelle que la création picturale d’Afrique du Nord n’est pas définitivement tributaire du pittoresque, des couleurs du Sud. C’est un peintre dont l’œuvre s’émancipe des frontières et de son siècle pour retrouver de grands maîtres. D’une certaine façon il rejoint avec talent une grande tradition expressionniste.
Sous ses voûtes célestes se joue une Histoire et le peintre ne s’attarde pas sur l’anecdotique. Son parti pris est ambitieux et nous éloigne du gentiment décoratif. Il rejoint le poète.
Il y avait de la terre en eux, et
ils creusaient des tombes.
Ils creusaient et creusaient des tombes, leur jour s’en allait ainsi, leur nuit.
Et ils ne louaient pas Dieu
qui, ainsi l’entendaient-ils, avait voulu tout cela, qui, ainsi l’entendaient-ils, avait voulu tout cela. Ils creusaient des tombes et n’entendaient plus rien
ils ne devenaient pas plus sages, ne trouvaient aucun chant,
n’inventaient aucune langue.
ils creusaient des tombes.
Paul Celan, extrait de "La fugue de la mort", 1945.
Les textes de présentation du travail de Zine
"Dans les dernières œuvres de Zine El Abdine, le feu constitue une composante importante sinon capitale dans son processus créatif. Il est à la fois outil et médium mixé à d’autres matériaux tels que la toile.
L’artiste dessine et peint avec le feu en laissant des traces visibles sur la toile, la cendre récupérée est utilisée comme pigment. Il ne s’agit pas de représenter le feu mais de l’inscrire sur un support, il est à la fois mouvement et principe contradictoire. « Tout ce qui change vite s’explique par le feu » affirme Gaston Bachelard dans la « psychanalyse du feu ». Ainsi le feu génère son propre espace, son propre propos. Ici le feu ne brille pas il brûle et consume le support sur lequel il s’inscrit. Mais tout en se consumant il révèle d’autres espaces d’autres matières et d’autres textures qui incitent le spectateur à s’interroger sur ce qui est représenté, sur ce qu’il voit…
Dans l’œuvre de Zine El Abidine El Amine, le temps est suspendu, le feu a fait œuvre mais il y a arrêt, cela suppose, donc, un avant et un après ; un devenir qui m’intrigue et me pousse à deviner à supposer à imaginer... Je deviens ainsi le spectateur d’une présence mystérieuse, silencieuse..."
Amiens (France) le 29 décembre 2011
Azzeddine Abdelhouabi
- Zine dans son atelier
"La manière de Zine El Abidine El Amine est aujourd’hui reconnaissable entre toutes. Mais sa technique est loin d’être figée dans une imitation de soi. Les tableaux de cette nouvelle série le prouvent.
Il s’est passé quelque chose.
L’utilisation de l’espace, la maîtrise des matériaux, montrent que notre peintre continue de progresser dans son art – lentement, calmement, avec toute la concentration que nous lui connaissons. La construction nous est familière, et pourtant quelque chose a changé, dramatiquement. L’angoisse, les terreurs, jusqu’ici refoulées au pied des tableaux, émergent brusquement vers le haut. Les sphères célestes explosent, les voûtes se déchirent, d’incertaines menaces apparaissent où l’on nous avait habitués à trouver lumière et sérénité.
Au cours de l’année 2011, Zine El Abidine a vécu un événement toujours unique dans la vie d’un homme et qui est à la fois rupture déchirante et libération informulée. Les travaux présentés ici sont profondément marqués par la perte d’un être cher, et ils marquent une étape dans la démarche de l’artiste, la plus importante depuis la première série de toiles inspirées par un cimetière. L’homme a souffert, mais, d’une tombe à l’autre, l’artiste a considérablement progressé dans l’expression d’une violence douloureuse qui n’appartient qu’à lui.
Ces tableaux sont plus qu’un témoignage : ils sont la représentation d’une explosion cosmique."
Jean Pailler
Uzès le 5 janvier 2012
- C4-Technique mixte 50cm
"Ce nouveau regard
….On est tenté tout d’abord de poser la question naïve en apparence : à quel âge on devient peintre tout court et quelle pourrait être cette majorité picturale inédite ? …Où est la peinture en tout cela, et n’est-il pas temps d’en finir avec toutes ces équivoques, ces duperies qui s’attachent maintenant, chez nous, à ce qu’on appelle pompeusement critique d’art et ses apôtres ; une sorte d’imama en matière d’arts plastiques….Je me suis rendu à Azemmour, là où maintenant il vit, enseigne en sa qualité de professeur d’arts plastiques, chez lui donc en sa maison où une des pièces sert d’atelier. Le peintre n’est pas une abstraction peinte…Ce fut donc l’occasion de prendre connaissance des travaux récents ou plus anciens qui ont été présentés dans différentes expositions ou publications. C’est que, sans être connu d’un large public, Zine El Abidine a déjà derrière lui un certain parcours…C’est une période où il se cherche, consent à des facilités, des trouvailles susceptibles de plaire à un grand public…Zine El Abidine en convient. Je suis très frappé par cette liberté qu’il a à l’égard de son travail, mais ce détachement souvent critique n’altère en rien son désir et ni sa vocation de peindre. On va en avoir pleine confirmation dans ses tous récents travaux qui seront exposés à la Galerie Nadar, à Casablanca. Il y a là, en ces toiles nouvelles, le signe indiscutable d’une rupture marquée avec le passé…Ce qui change et de beaucoup c’est le traitement de la couleur…Mais ce qui retient l’attention et signe la nouveauté c’est l’intervention du noir et l’utilisation ou mieux la fonction que Zine El Abidine lui confie ; C’est un constat sans qu’on puisse dire s’il s’agit d’un geste ou, et c’est plus probable, s’il y aurait là une spontanéité qui a mûri…Il peut paraître surprenant que le recours au noir introduise le jeu de la matière dans l’ensemble de ce travail…J’ai tenu à l’accompagner le long de ce chemin qui s’ouvre parce que je pense que peindre occupe une place prépondérante dans sa vie et qu’il a en lui virtuellement des dispositions pour s’affirmer dans l’espace de la création artistique ; Mais surtout il y a cette dimension de plaisir, si déterminante, dans ce qu’il offre au regard et tout naturellement invite à écrire sans autre prétention."
Extrait du texte du poète Edmond Amran El Maleh
Catalogue de l’exposition à la galerie Nadar en novembre 2006.